Revue De Presse

 

La Montagne - 12 décembre 94

 

Pour les beaux yeux d’un caillou

Le go est une énigme vivante. Ce jeu de cailloux deux fois millénaires exerce une telle fascination qu’une poignée de dévots est prête à faire des centaines de kilomètres pour disputer un tournoi national. C’était ce week-end, au chateau de Theix, à Saint-Genès-Champanelle.

Comme dirait l'autre, " mais qu'est-ce qui peut bien faire courir un joueur de go? " Pas l'appât du gain, les récompenses d'un tournoi national, comme celui qui s'est déroulé tout le week-end au chateau de Theix, près de Saint-Genès-Champanelle, sont du genre symbolique. Pas la notoriété publique non plus, le go se pratiquant loin des foules ébahies par les performances des champions.

Mais alors quoi? Et bien c'est simple, vous répondrait Bernard Brémond, joueur de go et organisateur de ce tournoi avec ses compères du club de Clermont. Ce qui a poussé une soixantaine de joueurs àvenir de toute la France tient en un mots :  " C-o-n-v-i-v-i-a-l-i-t-é ".

Les joueurs s'installent partout, à commencer par la vingtaine de tables qui servent pour les parties officielles. Mais aussi dans le réfectoire, les dortoirs, les couloirs. Pendant 48 heures, les joueurs ne quittent pas des yeux les petits cailloux en forme de galets noirs et blancs qui servent de pions. Pendant 48 heures, ils pensent go, agissent go, sont go.

Pour bien jouer au go, il faut de la concentration et de la patience.

Entre deux tasses de café, on refait les parties, on les commente, on en profite pour faire connaissance, apprécier le cadre reposant du château de Theix.
Une anecdote à six heures du matin, certains joueurs n avaient toujours pas fini de disputer une partie, alors qu'ils venaient de " bouffer " du caillou pendant trois parties de tournoi. En théorie, la durée d'une partie peut aller jusqu'à.., deux heures. Pas étonnant que l'accessoire préfére du joueur de go soit le paquet de cigarettes ou la choppe de bière...

Trêve de plaisanterie pour bon nombre de joueurs, les parties sont intenses. Le décor est réduit au minimum une table, deux chaises, les adversaires et, au milieu, une surface plane cadrillée, le goban. Le principe est tout aussi simple à l'aide des pions, il s'agit de couvrir la plus grande surface possible du goban avant son adversaire.
" Le go demande une vision globale, intuitive de la situation, plutôt que combinatoire comme les échecs. Il n'y a pas une solution précise pour un problème, mais plusieurs solutions possibles. Le go est un jeu de société fondamentalement humain ", explique en connaisseur Frédéric Renaud, l'un des meilleurs joueurs de go français.

En voie de démocratisation

La première preuve de l'existence du go est apparue en Chine, voici 2.000 ans. Adopté et développé par les Japonais, ce jeu de concentration et de patience connaîtra la consécration en devenant l'un des quatre arts majeurs, à l'instar de la poésie, de la calligraphie et de l'art floral. La pratique du go est alors une marque de " savoir vivre ".
De nos jours, le go est encore très répandu en Chine, au Japon ou en Corée où le jeu est aussi populaire que le football en Europe. Autres moeurs, autre état d'esprit, la France ne compte qu'un petit millier de licenciés, dont très peu de femmes, puiqu'elles représentent 10 à 15 % des effectifs. Les ventes de jeux de go s'élèvent à 20.000 par an, signe d'une démocratisation certaine.